J'ai dû lire ce petit livre féministe pour le cours de littérature comparée du troisième semestre (pour ceux qui se poseraient la question, oui, il y a bien deux semestres dans une année, mais la licence est divisée en six semestres, façon de dire trois ans). C'était sur les études de genre, et plus particulièrement sur le féminisme et son histoire. Cet article risque d'aborder pas mal de sujets controversés, mais je me permets de m'attarder sur mes opinions quand même.
Autant dans ce livre que dans le cours, il y a des choses que j'ai trouvées très bien, et d'autres sur lesquelles j'ai une façon de penser très différente. Je commence par une chose qui m'a dérangée : on parle tout le temps de deux sexes et de deux genres. Dans les textes les plus anciens de cette anthologie (ça va du 16e siècle jusqu'aux années 2000), ça se comprend tout à fait, mais ça m'a énervée dans les plus récents. Je déteste cette façon binaire de voir les choses ! Quand on est familier des idées qui passent dans la communauté LGBT+, on a plutôt tendance à voir le genre comme un spectre, et surtout à ne pas le lier avec le sexe. Ce sont deux choses totalement distinctes ! Le sexe, c'est biologique, c'est les organes avec lesquels vous naissez (et grosse nouvelle : il n'y en a pas que deux bien distincts). Le genre, c'est psychique, c'est ce que vous êtes à l'intérieur. N'importe quel transgenre vous le dira (d'ailleurs, je ne connais pas très bien la partie transgenre de la communauté, je sais qu'il y a des débats sur les termes, donc si jamais quelqu'un se sent offensé par ma façon de le dire, ce n'est pas du tout mon intention, ça vient seulement de mon manque de connaissance du sujet, et je m'en excuse). Et je vois le genre comme un spectre (comme pas mal de monde, d'ailleurs). Autrement dit : il n'y aurait pas un pôle fille et un pôle garçon, avec un choix à faire entre les deux. Je pense qu'il y a une multitude de degrés et de nuances entre les deux extrémités de ce spectre (ce n'est que mon opinion que je vous expose, libre à vous de ne pas être d'accord avec moi). Alors ça a tendance à me frustrer énormément quand, dans ce livre comme dans le cours, je vois la notion de sexe et celle de genre confondues.
Pour en arriver au livre lui-même, je dois reconnaître que je lui ai trouvé plus de points négatifs que positifs. Il est très intéressant du point de vue historique, et il soulève des questions importantes. L'égalité, la parité, l'avortement... C'est vraiment dommage qu'il n'aborde ni le harcèlement, ni les agressions et les viols, ni les violences conjugales (en même temps, ce n'est pas forcément plus mal, je parie que ça aurait fait comme si seules les femmes étaient violées et battues. Certes, elles le sont en majorité, mais il ne faudrait pas oublier les hommes à qui ça arrive, et qui doivent avoir encore plus de mal à le dénoncer et à en parler, à cause justement des stéréotypes de la société). Le texte sur l'avortement est l'un de mes préférés. Les femmes ont toujours avorté, et elles continueront, alors je ne vois pas pourquoi certains voudraient l'interdire. D'autant plus que, de moins point de vue, que les hommes donnent leur avis s'ils le veulent, mais qu'ils ne décident pas à la place des femmes (le jour où ils auront accouché – ou mieux pour l'exemple, où ils auront accouché d'un enfant qu'ils auraient à cause d'un viol – qu'ils reviennent en parler). Et puis, si c'est interdit, ça ruine la vie de trop de monde, alors que si c'est autorisé, celles qui sont contre l'avortement n'auront qu'à continuer à ne pas avorter sans embêter les autres (que les gens se mêlent un peu de leur vie, à la place de celle des autres). Les avortements étaient très risqués à l'époque où ils étaient clandestins, ce serait stupide de régresser sur ce point (et c'est tout à fait possible que ça arrive, regardez le débat qu'il y a eu en Pologne l'année dernière - ou celle d'avant, plus très sûre).
L'un des avantages de ce livre, c'est qu'il montre la difficulté à obtenir des droits, et le temps que ça prend (des centaines d'années depuis qu'on écrit, mais en réalité des milliers d'années), alors il fait prendre conscience qu'on ne doit surtout pas se les laisser enlever (vous vous souvenez des manifestations en Espagne, il y a assez peu de temps, quand des violeurs ont été condamnés seulement pour agression sexuelle et pas pour viol ? C'est le genre de choses qu'il ne faut pas laisser passer, les peines pour les violeurs ne sont déjà pas très dissuasives, les rares fois où ils sont condamnés).
Certains textes m'ont paru très négatifs pour les femmes. Par exemple, celui de la Révolution française, la pétition des femmes du Tiers-Etat : elles demandaient certains droits au roi, et en échange elles promettaient de ne pas s'intéresser à la politique autrement que pour faire l'éloge du roi. Ça se passe de commentaire. Ce qui va probablement plus vous étonner, c'est que je n'ai pas du tout aimé le texte de Simone de Beauvoir (les gens de la classe se sont précipités dessus pour l'exposé, pourtant). Je l'ai trouvé trop plein d'obligations et de distinctions. Trop de "une femme doit" pour être utile, selon moi. Donc, selon elle (c'est comme ça que je l'ai compris), une femme est l'égale d'un homme, mais elle ne doit pas abandonner sa féminité, surtout pas (c'est très bien pour celles qui en veulent, de leur féminité, mais pourquoi on se permettrait de leur imposer ? Et qu'est-ce qu'on appelle féminité ? C'est aussi tordu que le concept de virilité, cette chose). Elle doit continuer à ressembler à une femme et à se maquiller (par contre, avoir des enfants, c'est rétrograde). Personnellement, en 2018, ce genre de propos me choque. Je ne me maquille pas. Est-ce que ça veut dire que je ne suis pas une fille ? Que je n'ai pas envie de l'être ? Que je dévalorise la féminité ? Ou alors que je provoque volontairement les gens ? Dans ce texte, c'est comme ça que c'est interprété. Personnellement, si je ne me maquille pas, c'est simplement parce que je n'en ai pas envie (je suis en retard tout le temps, je trouve à peine le temps de manger le matin, je ne vais pas en plus passer une demi-heure à me peindre la tronche le matin, et à nouveau perdre du temps le soir pour enlever ce tas de produits chimiques ! Sans parler du prix du maquillage, et que beaucoup de produits sont faits à base de choses provenant d'animaux. Je ne suis pas vegan, mais je détesterais me dire qu'on a tué un pauvre animal pour que j'arrange mon apparence)). Si vous voulez tout savoir, c'est aussi à cause de problèmes que j'ai aux yeux, ce que les gens ne peuvent pas deviner en me croisant dans la rue (du coup, ils se disent juste que je suis négligée et que je ne prends pas soin de moi, et ça c'est ce que j'appelle de la discrimination). Et en plus, je ne vois pas pourquoi les femmes seraient obligées de se maquiller (pour moi, c'est comme si la société disait à chaque femme : "ah non, tu vas quand même pas sortir comme ça, ce serait un manque de respect de montrer ta tête au naturel aux gens, c'est trop moche et ça fait peur, va me cacher tout ça !"). Essayez, si vous êtes une fille : si vous ne portez pas de maquillage une journée pour sortir, vous serez traitée différemment (celles qui ne se maquillent jamais le savent très bien, il y a comme une distinction entre les vraies filles et femmes, qui se maquillent, et le reste, au mieux des filles pas très belles auxquelles on ne s'intéresse pas, au pire des mochetés provocatrices qu'on se permet de mépriser parce qu'elles ne sont pas belles, selon les critères de beauté qui incluent le maquillage). Je trouve ça révoltant qu'on nous oblige implicitement à couvrir notre visage, comme s'il n'était pas assez bien, et que la plupart des femmes participent à cette pression ! Vous n'imaginez pas le nombre de fois où j'ai entendu "tu serais super belle, si tu te maquillais !". De mon point de vue, les gens me trouveraient belle si personne ne se maquillait, et je ne vais pas faire d'efforts inutiles pour ce genre de personnes (voilà, c'est direct, c'est mon avis, pensez-en ce que vous voulez). Je pense que l'égalité est une question de liberté, pas de contraintes sociales.
Bon, à force de débattre et de critiquer la société, j'en perds le fil ! Maintenant que je vous ai exposé le côté négatif pour les femmes, allons-y pour le côté négatif pour les hommes. Certains de ces textes (la plupart, surtout les plus récents) m'ont paru trop radicaux et un peu violents. Dans certains, on sent une haine des hommes dissimulée qui ne peut qu'être négative. A mon sens, le but du féminisme, c'est l'égalité, pas un renversement de pouvoir au profit des femmes, qui mettraient les hommes à leurs pieds. Je déteste cette façon de penser. Comment on peut reprocher à certains leur injustice si on est injuste soi-même ? Je suis d'accord, la société est sexiste, une trop grande part de la population masculine est misogyne et machiste, et il faut le changer. Mais ce serait bien d'éviter de mettre tous les hommes dans le même panier. J'imagine que pas mal de filles et de femmes ont un père, un frère, un ami, un mari, peut-être un fils. Ce sont des monstres aussi ? Pour certains, sûrement, mais la plupart sont plus probablement des gens parfaitement normaux, peut-être pleins de stéréotypes à corriger, et certains sont même sûrement des gens bien. Le problème, c'est qu'on voit beaucoup plus les mauvaises personnes, parce qu'elles se font remarquer. Pour une centaine d'hommes que vous croisez dans une journée et qui vous respectent, vous ne retenez que les trois qui vous ont insultée, voire agressée. C'est parfaitement normal, je le fais aussi. Ils dérangent, on ne voit qu'eux, et tous les autres paraissent tellement invisibles qu'on les oublie. Et puis, c'est vrai, les gens bien sont rares, parmi tous ces indifférents (vous vous souvenez peut-être de la fille de 13 ans en Belgique qui avait été violée en plein milieu de la rue, et tout le monde était passé devant sans rien faire). Pour les filles : quelqu'un a déjà pris votre défense contre les gros relous (pour être polie) qui vous insultent, qui vous touchent ou qui vous menacent de vous violer ? Moi pas. Pourtant, c'est arrivé souvent. Mais personne n'a même jamais tourné la tête. D'ailleurs, faites vos recherches et regardez autour de vous : vous verrez bien plus souvent une femme défendre une autre femme plutôt qu'un homme intervenir. Alors je peux comprendre que ce soit difficile de ne pas penser la même chose de tous les hommes. Pourtant, autour de moi, j'ai des amis qui sont des gens bien, des garçons qui réagiraient s'ils me voyaient agressée ou menacée. Mais devinez quoi : si je suis avec eux, personne ne vient m'embêter. Ça arrive toujours quand on est seule. On connaît tous quelques personnes comme ça qui permettent de relativiser. Je détesterais qu'on les insulte à cause du comportement de certains salauds.
Finalement, il y a deux parties que j'ai préférées dans ce livre : le texte de Condorcet, qui est un homme et qui a donc plus de recul (il a de très bons arguments en restant calme, ça j'aime bien), et la préface de Clémentine Autain. La nouvelle préface, je veux dire. Elle y parle du mouvement #MeToo, que je trouve plutôt positif tant qu'il ne tourne pas au lynchage, et des injustices plus courantes. De l'insécurité qu'une femme ressent beaucoup plus souvent qu'un homme. C'est vrai que je ne suis jamais rassurée quand je termine les cours à 19h ou à 20h l'hiver et que je suis obligée d'attendre le bus et de rentrer chez moi quand il fait nuit, il y a toujours ce sentiment de danger, surtout depuis qu'un groupe de cinq garçons m'a insultée pendant les trente minutes que j'ai passées dans le bus un soir : j'avais juste peur qu'ils descendent au même arrêt que moi et qu'ils me suivent (pas le choix, l'ophtalmo avait quatre heures de retard. Quand je le peux, j'évite d'être dehors la nuit, mais ce n'est pas toujours possible). Et c'est vrai aussi que j'ai l'impression que les garçons sont moins menacés. Peut-être qu'ils ont aussi peur, après tout le monde est un endroit dangereux, mais honnêtement, si on regarde les statistiques, il y a beaucoup plus de chances qu'il nous arrive quelque chose si on est une femme.
Je sais que cet article était long (le plus long du blog, pour l'instant), mais ce livre soulève tellement de questions qui provoquent des débats ! Ce sont des sujets importants. Je vous ai exposé mes opinions, n'hésitez pas à m'exposer les vôtres en commentaire, je serais très heureuse de lire votre avis. Je vous mets le lien de la vidéo du discours d'Emma Watson à l'ONU, qui a changé ma façon de voir les choses et qui reflète exactement ma vision du féminisme (avant de voir ça, je refusais d'être associée aux féministes. Je pensais tout de suite aux Femen, que je ne peux pas supporter, et je ne voulais surtout pas être associée à cette image. A mes yeux, ce sont des hystériques et des sauvages qui sont dangereuses, et tant pis si ce que je dis sur elles peut paraître anti-féministe, ça ne l'est pas, c'est juste que je n'aime pas leurs méthodes). Grâce à Emma Watson, je peux dire tranquillement que je suis féministe. Sa vision englobe tout le monde, elle inclut les hommes, c'est parfait. Et pour finir, je tiens à le rappeler : le féminisme n'est pas contre les hommes, et il ne faut pas oublier qu'ils sont aussi victimes de la société.
Avant de vous laisser, je vous mets les liens d'autres vidéos (une seule en anglais, les autres en français) : Homophobia makes no sense, de Peter White (avec la merveilleuse phrase que je vous traduis : "Si vous êtes un homme, ne dites rien à une femme dans la rue que vous ne voudriez pas qu'un homme vous dise en prison"), et plusieurs épisodes de Et tout le monde s'en fout, sur les femmes, les hommes, le féminisme et la culture du viol.
